HADJ ZITOUNI, président de Mouvement Action Justice
Vendredi, 12 juin 2020 23:30
Mettre le feu aux poudres est devenu incontournable pour obtenir des réformes !
La colère exprimée dans le calme de tous les manifestants québécois qui sont descendus dans les rues par milliers à travers la province dénonçant le racisme systémique et la brutalité policière est malheureusement un effort en vain, sinon un salut chaleureux à la mémoire de George Floyd, cet Afro-Américain tué injustement par un policier blanc à Minneapolis dans le Minnesota le 25 mai 2020.
Et malgré que François Legault, premier ministre du Québec fût sommé à son tour de reconnaître du bout des lèvres l’existence du racisme au Québec, sauf que celui-ci reste un hypocrite rusé parmi d’autres, qui expriment à moitié ou pas du tout l’énoncé afin d’empêcher tout changement profond.
La mort brutale et inhumaine de George Floyd avait entrainé des discussions à tous les niveaux des sphères sociales et politiques. Des affrontements même ont éclaté ici et là. Justin Trudeau, par exemple, ne partageait pas le constat de François Legault sur la question du racisme systémique au Québec et pourtant, à mon avis, ces deux élus n’ont jamais vécu le racisme dans ses formes répugnantes.
Mais force est de constater que des milliers de citoyens québécois sont descendus à plusieurs reprises dans les rues pour dénoncer les inégalités basées sur une couleur de peau, une origine ou une religion différente. Plusieurs commissions, institutions, analyses universitaires, travaux de recherche… ont affirmé que le racisme au Québec est systémique. Tous se sont rendus à la même conclusion. Ils l’ont déclaré aussi haut et fort, sans détour aucun pour que des gens comme François Legault se rendent à l’évidence qu’il n’est plus question, maintenant, de nier cette réalité. Dans cette veine, nous ne nous pouvons pas soigner un mal sans l’identifier clairement.
Après ces manifestations louables, j’ai assisté à une réunion de notre conseil d’administration et lors de nos discussions, j’étais surpris par la déclaration de l’un de nos membres qui s’est déclaré ouvertement raciste sans savoir pourquoi. Elle était mal à l’aise face au petit débat qu’elle venait d’alimenter. Pour se sauver la face, elle a finalement réfuté le blâme à quelques génétiques égarées quelque part dans ses gènes.
Ainsi, ni François Legault ni d’autres n’arrivent à se défendre avec succès contre une telle aberration. Les hommes sont nés égaux, ce sont les mentalités en chute dégradante qui les éloignaient de la source. Hypocrisies, ignorances, orgueils, inconsciences, et j’en passe, demeurent un fort de glace invisible qui renforce les inégalités et divises les humains.
Ce n’est pas la mort de George Floyd qui avait mis le feu à la poudre à travers les États-Unis. Un noir persécuté, violenté, abattu ou exécuté injustement par les forces policières aux États-Unis, ça ne date pas d’hier.
La mort de cet Afro-Américain était délibérément gratuite, un peu absurde, difficile à suivre l’exécution. Sa transmission sur les écrans avait heurté un nombre infini de personnes à travers le monde. Les images de ce meurtre captées clandestinement et diffusées partout étaient froides, choquantes, piquant à vif la conscience des vivants. Personne ne souhaitera vivre un tel châtiment aussi cruel, inhumain et dégradant. Hélas, elles sont nombreuses, voire très nombreuses, les personnes de couleurs qui sont mortes dans un tel dessin abusif, sauf que la réaction des citoyens américains n’a jamais été disproportionnée au point de retenir, figer le regard des décideurs face à une telle aberration.
Qui a mis le feu aux poudres et enflammé les États-Unis ?
Désormais, marches, protestations, occupations pacifiques des rues ne servaient finalement presque à rien. Le recours à des moyens purement démocratiques, civilisés n’ont réellement pas d’impact, sauf quelques bribes dans les coulisses du pouvoir et des promesses reportées continuellement à plus tard.
La mort de George Floyd nous a permis d’assister au réveil d’une conscience collective sans précédent. Il fut brutal ce sursaut de masse, longtemps souhaité, soupçonné, mais désespérément inattendu. Dans ce pays, la prise de conscience collective et son mode de fonctionnement semblaient désactivés depuis 1960.
Nous sommes devant un peuple hypnotisé dans sa misère qui vient de se réveiller. Un peuple pris par la peur, par la crainte, par l’incertitude qui l’entoure et l’étouffe. Ce peuple marginalisé qui vient de se réveiller, mais pas pour longtemps, il retournera forcément à son sommeil attendant des jours meilleurs, des jours qui risquent de ne jamais arriver.
Mettre le feu aux poudres et enflammer les villes secouent violemment la conscience des politiciens, les réveillent, les gardent vigilants aussi longtemps que le brasier ne serait pas éteint. En 1787, Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, l’avait reconnu et conseillé à ses concitoyens de se soulever chaque fois que l’impasse de l’injustice persiste. « I hold it that a little rebellion now and then is a good thing, and as neccessary in the political word as storms in the physical »[1].
Il faut se lever contre les injustices. Si uniquement dans cette posture de réveil que liberté, égalité vous reviennent. Il faut de temps en temps, se soulever pour redresser les droits fondamentaux, ramener la paix dans le cœur des citoyens. Thomas Jefferson n’était pas gêné de le dire, de le rappeler à son époque. Autrement dit, quand vous portez le souci et la brûlure de l’injustice de votre société, il n’y a rien qui vous empêche de franchir ce pas. Désormais, le désordre apporte l’ordre bénéfique pour tous.
Au Québec, ces jours-ci, ce n’est ni la mort de George Floyd qui a relancé vivement le débat sur le racisme et la brutalité policière, ni les flammes ou la colère des manifestants américains face à leur drame qui a mis Justin Trudeau à genou et fait avouer à François Legault l’existence du racisme au Québec, c’est plutôt la crainte de cette prise de conscience collective, ce réveil, cette révolte, cette colère brûlante de nos voisins qui auraient pu contaminer le Canada et en particulier le Québec à sortir de sa civilité et mettre le feu aux poudres en quête d’éradiquer le racisme de nos sphères sociales.
Maintenant, est-ce qu’avec ces dernières contestations hautement pacifiques, daignent de reconnaissance et de respect, nos dirigeants vont-ils se tenir droit ensemble pour un changement de cap?
Personnellement, j’en doute fortement.
[1] Paris.30 janvier, 1787