La déontologie policière : l’insupportable épreuve du processus.

Par Hadj Zitouni, Porte-parole du Mouvement Action justice

Le 3 avril 2023

Alexandre Popovic, porte-parole de la CRAP, Coalition contre la Répression et les Abus Policiers et Hadj Zitouni, porte-parole de MAJ, Mouvement Action Justice. Discussion, lors de la Manifestation contre la brutalité policière du 15 mars 2023.  

«La déontologie policière, c’est une machine à rejeter des plaintes » Alexandre Popovic, porte-parole de la CRAP.[1]

Le 18 novembre 2021, une date qui est à marquer au fer rouge pour Vanessa C[2]. Elle n’est pas prête à l’oublier. Agressée et violée à plusieurs reprises par son ex-chum, elle avait fini, Vanessa C, par composer le 911. Elle voulait dénoncer son agresseur et demander de l’aide. Le SPVM a répondu à l’appel. La mère de Vanessa C ne voulait pas la garder chez elle. Histoire d’un conflit mère-fille qui persistait tant bien que mal. Désaccords et querelles interminables, voilà comment, Vanessa C. s’est retrouvée dans la rue. Elle a demandé à son ex-chum de l’héberger le temps de trouver un toit. 

Vanessa C. a toujours été malade. Elle est vulnérable, brisée en petits morceaux. De nos jours, elle est suivie en santé mentale.

Le 18 novembre 2021, les policiers ne l’ont pas cru. Et comme son ex-chum requérait son expulsion, les policiers lui ont ordonné de ramasser ses vêtements et de quitter les lieux. Désemparée, froissée et embrouillée, Vanessa tentait d’obtenir des explications. Elle a insisté. Elle voulait être écoutée. Mais rapidement, elle s’est retrouvée au sol. La prise de l’un des deux policiers agenouillés sur elle lui avait coupé le souffle. Elle l’informait qu’elle était en train de s’étouffer. Il lui passait les menottes, puis il la remettait sur pieds. 

Dehors, pieds-nus et sans manteau, Vanessa C. avait très froid. Elle pleurait. Elle était en état de choc. Une fois à l’intérieur de la voiture de police, elle réclamait ses souliers, son manteau. Ensuite, elle a demandé qu’on la conduise à l’hôpital. Le policier au volant la traite de folle.

La voiture de police s’immobilisait dans sa course sur la rue Hochelaga devant un centre d’hébergement pour femmes sans abri. Une fiche indiquait que le centre était complet. Les policiers reprirent donc leur route, cette fois vers le centre sud de Montréal. L’accès au pavillon Patricia Mackenzie pour les femmes sans abris étant plus accessible. Ils la déposèrent. Ils lui enlevèrent les menottes puis ils l’abandonnèrent.

Le lendemain, Vanessa C. se présentait au poste de police 22. La plainte contre son ex-chum fut retenue, celle contre les policiers, on lui demanda de s’adresser à la déontologie policière.

Quelques jours après, Vanessa C. fut transférée dans un autre centre d’hébergement. Des intervenants du PASM, Perspective Autonome en Santé Mentale tentent de s’occuper d’elle. 

Vanessa C. n’arrivait pas à faire disparaitre l’intervention policière de sa mémoire. Elle était hantée par l’attitude des policiers.

Le 17 mars 2022, la Ligue des Noires du Québec l’aidera à rédiger une plainte contre les policiers qui ont participé à son arrestation. Une correspondance s’ouvra. 

Aux alentours du 10 avril 2022, la déontologie policière demanda à Vanessa C. un complément d’informations : il était impossible d’identifier un troisième policier visé par la plainte. Vanessa C. précisa qu’il s’agissait d’une policière et elle tenta de la décrire. Toutefois, Impossible de la retracer. Le rapport de la police indiquait la présence de deux policiers seulement.

Le 11 octobre de la même année, un autre questionnaire s’ajoutait et le nom de Vanessa C. commençait à briller sur les correspondances. Vanessa C. nourrissait un espoir… Malgré des précisions et une mémoire par moment intacte, la déontologie policière refusa d’inculper une policière inconnue, fantôme. De ce côté, le dossier fut rapidement fermé.

Conclusion, on propose à Vanessa C. une date de conciliation avec les deux policiers impliqués. Elle est quasi obligatoire cette séance de conciliation. Si vous la refusez, votre dossier sera tout simplement fermé.  

Le 20 décembre 2022, Vanessa C. ne voulait pas aller seule à la rencontre de ces deux policiers. Elle était traumatisée. Le Mouvement Action Justice me désigna pour l’accompagner. Elle pleurait Vanessa C. tout au long de la réouverture de son récit.

Elle n’a pas oublié un seul bout de l’agression. Les deux policiers en face d’elle répétaient qu’ils ne se souvenaient pas tout à fait de l’événement. Néanmoins, ils s’excusaient en ajoutant qu’ils n’avaient aucunement l’intention de la blesser, de la maltraiter, de l’abandonner…

La conciliatrice, court-circuite, elle demande de nous rencontrer seuls, elle et moi, auteur de ces lignes et Vanessa C. On se déplaçait dans une salle avoisinante. La conciliatrice explique de nouveau le processus, rappelle les directives sur la confidentialité et demande à Vanessa C. si elle accepte la conciliation. Celle-ci sans hésitation aucune, refuse. Une fois retournée à la salle de rencontre, elle pleurait davantage Vanessa C. face aux deux policiers. Elle s’interrogeait sur le sort de la troisième policière qui l’a dénigré.

La conciliatrice persévérait sur le fait qu’elle n’a jamais existé cette troisième policière. Yeux exorbités, ahurie, Vanessa C. me regardait pleinement. J’ai demandé à questionner les deux policiers, la conciliatrice s’y est objectée, mais l’avocate de la fraternité policière n’y voyait pas d’inconvénient. Elle prenait son dossier à la légère, Madame l’avocate. Les policiers ont finalement reconnu l’intervention d’une troisième policière. Sauf qu’ils disaient ne pas connaitre le nom de celle-ci. La conciliatrice fut abasourdie. Elle réclama notre retrait de nouveau. Avec un sourire qui agrippait difficilement ses lèvres, elle nous informait qu’elle allait retravailler pour retracer la policière fantôme.  Quelques semaines plus tard, une autre séance de conciliation était programmée. La policière fantôme refait surface. Elle était en face de nous. Voilà une autre rencontre non souhaitée, similaire qui s’ajoute dans la vie de Vanessa C. : discussion, échanges, propositions, rejets, des pleurs, une blessure qui saigne de nouveau et la seconde plainte est rejetée également comme des centaines d’autres avant et après Vanessa C.


[1] https://pivot.quebec/2023/03/17/un-projet-de-loi-pour-la-police-aux-depens-de-leurs-victimes/

[2] Le prénom a été modifié pour des raisons de confidentialité.